Le rythme « Qui connaîtra le monde et ses rythmes, écrit le Nei King, le plus ancien traité de médecine du monde, connaîtra aussi l’homme et le rythme de sa vie, et qui connaîtra ces accords n’aura plus besoin de rien savoir.» Tout est rythme dans l’univers et tout être vivant est soumis à ses propres rythmes ainsi qu’aux rythmes du cosmos. L’homme est conditionné, comme les animaux et les végétaux, par les cycles de la nature : alternance des saisons, du jour et de la nuit, mais aussi par son « horloge » interne régissant, selon les moments de la journée, la tension artérielle, la température, le taux des hormones, etc. La notion de rythme est étroitement liée à la notion de santé. Le philosophe Bacon au XIIIe siècle estimait que « pour être bon et efficace, le médecin doit connaître les règles de l’harmonie musicale. » La musique, en effet, a une influence indéniable sur le plan physique comme sur le plan émotionnel. De nombreuses expériences scientifiques ont souligné son action sur le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire et la tension artérielle… Certes, l’intensité et la nature des réactions à la musique dépendent du sujet auditeur, de son tempérament, de sa constitution, etc., mais les neurophysiologistes font remarquer que la musique demeure souvent le seul moyen de communiquer avec des patients autistiques ou des malades ayant rompu le contact verbal. Le sens du rythme notamment résiste beaucoup plus longtemps que les fonctions intellectuelles à la déstructuration mentale. « Le rythme, disait le célèbre pédagogue Maurice Martenot, est l’élément vital de la musique, aussi indéfinissable que la vie elle-même. On doit le considérer comme une force en mouvement, une force qui propulse l’action, une force qui est elle-même mouvement. » Le rythme joue un rôle déterminant dans les chants et les danses de guérison des peuplades primitives qui recourent généralement à la transe. Dans la Grèce antique, les rythmes des instruments à percussion « avaient la propriété de provoquer la transe de possession des Corybantes » (H. Jeanmaire - 1951- Dionysos. Paris, Payot). Dans les danses extatiques de l’Inde, du Moyen-Orient ou de l’Afrique, le rythme est également primordial. Dans le Gai Savoir, Nietzsche écrit : « bien avant qu’il n’y eût des philosophes, on attribuait à la musique, et plus précisément au rythme musical, la faculté de décharger les passions, de purifier l’âme, d’adoucir la ferocia animi. La tension normale de l’âme, son harmo-nie venait-elle à se perdre, il fallait se mettre à danser en suivant la mesure du chant… c’était là l’ordonnance de cette thérapeutique. » Les deux principales caractéristiques les plus fréquentes du rythme des musiques de possession sont la rupture (par changement de rythme ou par déplacement des accents) et l’accélération du tempo. Que ce soit en Haïti, au Bengale, ou encore chez les Indiens d’Amérique, les ethnologues ont remarqué que les musiques destinées à déclencher la transe commencent généralement par un rythme répétitif suivi d’un rythme plus heurté introduit brusquement ; ce nouveau rythme suscitant un état de paroxysme chez les danseurs. Le tempo devient alors de plus en plus rapide et l’intensité du son se fait de plus en plus forte. La danse convulsive aboutit à la chute du malade, soulignée violemment par la percussion. Dans cette chute, le malade, complètement insensible, ne se fait aucun mal : il se produit dans la transe un phénomène d’analgésie, comme dans l’hypnose. Selon le docteur Jacques Donnars, psychiatre, « la transe opère comme un processus de recul qui relativise les conflits individuels ou collectifs… Je peux constater, dit-il, (par l’expérimentation en groupe de phénomènes de transe sous induction musicale) une spectaculaire disparition d’angoisses, la résolution de conflits intérieurs déjà anciens, la mise à distance de souffrances physiques » (cité par Sophie Humeau dans Les musiques qui guérissent, Retz). Certains praticiens n’hésitent pas, en effet, à recourir aux méthodes ancestrales issues de traditions mystiques, pour soulager leurs patients et tendent ainsi à retrouver « la réalité secrète et indicible de l’être profond » pour reprendre l’expression de J. Donnars. Le rythme est d’ordre physiologique, d’où son influence sur tous les aspects de la vie végétative. L’une des bases du yoga, par exemple, est la maîtrise du rythme respiratoire, qui est binaire (inspir-expir) dans l’action mais ternaire (inspir-expir-pause) dans le sommeil ou la méditation. On peut ramener l’infinité des rythmes qui animent notre être psychosomatique, à deux catégories essentielles : la cadence régulière et la cadence asymétrique, souvent source d’action et de mouvement. Les Chinois anciens distinguaient six rythmes yang, fondés sur l’impair, et six rythmes yin, fondés sur le pair. Aussi la musicothérapie chinoise utilise-t-elle des rythmes excitants pour les mélodies tonifiantes et apaisants pour les mélodies calmantes ; ce qui correspond selon le cas, à des rythmes binaires plutôt heurtés et à des rythmes ternaires généralement doux. L’action du rythme sur l’auditeur, comme nous avons pu le constater dans les musiques de possession, n’est pas seulement liée à la régularité ou à l’irrégularité de la pulsation mais dépend aussi de la vitesse du débit sonore. Si la répétition d’un motif dans un même tempo peut induire un état quasi-hypnotique, c’est le changement de rythme et l’accélération qui provoquent la transe. Autrement dit, la tension émotionnelle est en rapport avec la vitesse. Les travaux de Michel Imberty ont d’ailleurs montré que plus le débit des sons est rapide, plus la tension de l’auditeur s’élève ; inversement, plus le débit des sons est lent, plus la détente s’affirme.
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Pour conclure nous rappellerons que dans les traditions anciennes, de la Chine au fin fond de la Sierra mexicaine, en passant par la Polynésie, la pratique de la guérison, qu’elle soit fondée sur l’usage des plantes, des massages, des chants, des rythmes ou de la magie, n’a jamais pu se passer des sons musicaux, utilisés comme puissance énergétique et harmonisante, capable de transmettre la force vitale universelle